Élevage et alimentation locale - La Vigan attitude

Date de l'article 23.09.2019 - 14:00
Auteur Emilie Rousselle & Thibaut Suisse
En résumé Le défi “j’irai manger local chez vous” et la relance de l’abattoir du Vigan par un collectif d’éleveurs? Qu’est-ce que les Écolos ont à voir avec ça ?
L'article

“J’irai manger local chez vous” qu'es aquò ?
En 2008, Stéphane LINOU, futur Conseiller Général de l’Aude, se lance le défi de se nourrir pendant un an, uniquement à partir de produits provenant de moins de 150 Km de Castelnaudary. Suivi par un médecin, une spécialiste en économie familiale, une diététicienne et un agro-économiste, il médiatise son expérience. Son objectif est alors de lancer la démarche d’Amap dans le Lauragais.

Dix ans plus tard, il lance le défi “j’irai manger local chez vous” afin de promouvoir la démarche locavore à l’échelle nationale. Le principe : une invitation par département, les hôtes préparent un repas de fête, uniquement avec des produits provenant de moins de 50 km* (sauf pour le sel si l’on est à plus de 50 km des côtes), pour moins de 9€50 par personne. Stéphane apporte le vin.

Dans l’Hérault ce sont les Écolos qui ont accueilli le défi. Thibaut, Florence** et Mathias ont préparé le menu*** selon les règles. Pour l’occasion et parce qu’on est aux Écolos, les adhérents se sont piqués au jeu et sont venus se joindre à nous avec leur pique-nique local, puis Florence a fait une sortie sur le domaine pour parler des plantes médicinales présentes et utilisables sur place.

Oui, mais pourquoi?

Si pour Stéphane Linou l’enjeu du “Manger local” se traduit en termes de sécurité nationale (il vient d’ailleurs d’écrire un livre**** sur le sujet et de monter un module de Licence), il s’agit d'abord pour nous de gestion du territoire et d’écologie.
En Europe comme en France métropolitaine, et principalement en région méditerranéenne, la nature et les paysages sont le fruit d’un long dialogue entre les éléments, les composantes naturelles (plantes, animaux…) et l’Homme. Pas de marais de Guérande sans saulniers, pas de Camargue telle que nous la connaissons sans manadiers… et pas de Crau ni de garrigue sans troupeaux et leurs bergers.

Or, pour qu’il y ait des bergers il faut qu’il y ait un commerce de la viande, du lait et de la laine qui soit rentable et leur permette de vivre décemment.
Consommer local permet aux producteurs de notre territoire, qui façonnent plus ou moins volontairement nos paysages et notre “nature”, de vivre de leur métier.
Cela permet aussi souvent un lien plus étroit entre les producteurs et les consommateurs, ce qui permet au consommateur de se réapproprier le rythme de ce qu’il consomme, en lien avec le rythme de la nature (tarissement des laitages, fruits et légumes de saison…).
Cela permet aussi aux producteurs de suivre plus facilement les attentes de la société (culture en bio, respect des animaux…).

Du rôle central des animaux dans nos territoires

Alors que le travail des petits éleveurs est de plus en plus menacé face aux géants de l'élevage industriel et que les petits abattoirs ont du mal à rester en vie ou, pire, à être relancés, rappelons que les animaux sont et ont toujours été une composante essentielle de  la vie paysanne...




Des animaux pour valoriser les terres difficiles à cultiver
Non, toutes les terres ne sont pas bonnes à cultiver, et c'est là que les animaux ont toute leur place : ils permettent de valoriser des terres dont la culture serait difficile voire impossible (terrains trop secs, trop pentus, zones trop froides, etc).

On pense aux peuples nomades dont la survie dépend de l'élevage d'animaux, faute de pouvoir cultiver une quelconque autre ressource : l’élevage de rennes en Sibérie, l’importance des chèvres et des dromadaires dans l’alimentation des Touaregs, etc. Mais revenons chez nous, où les conditions ne sont pas si extrêmes (quoique...) : la surface de terres fertiles est insuffisante pour produire des plantes qui nourriraient la population locale. L'élevage prend tout son sens dans une logique de consommer local, en valorisant les ressources disponibles localement dans des endroits peu propices à d'autres cultures, en climat méditerranéen particulièrement, où la ressource en eau est limitée pendant une bonne moitié de l'année. Contrairement à l'idée répandue selon laquelle l'élevage est sur-consommateur d'eau, la réalité est toute autre. À titre d'exemple, un élevage de brebis en climat méditerranéen nourri à l'herbe et aux arbres fourragers ne consomme qu’un litre d'eau par jour par hectare. Pour comparaison, un hectare de maraîchage nécessite en moyenne 20 000 L d'eau par jour et par hectare. L'élevage est donc une bonne stratégie pour valoriser les territoires dans un contexte de faible ressource en eau.

Petites notions d'agronomie pour une alimentation sans protéines animales...
Les régimes végétaliens comportent  principalement des plantes annuelles : lentilles, soja, riz, blé, etc. Difficile déjà d’acheter essentiellement local : quand on est loin des sites de production, ce qui arrive dans l’assiette a déjà coûté cher en transport et généré la pollution qui va avec. De plus, la culture de ces végétaux est très difficile sans mécanisation. Ces annuelles sont des plantes pionnières : elles se développent sous une luminosité maximale. Leur culture implique donc une destruction systématique des autres plantes présentes là où  on veut les faire pousser: culture sur brûlis ou, plus courant chez nous, sol labouré. La conséquence de ces pratiques est une destruction progressive des sols et de tous leurs habitants. Bilan des courses : plus d'animaux morts par ces pratiques culturales que dans un élevage d'animaux traditionnel ! Sans compter que la plupart des grandes productions végétales se font à grand renfort de pesticides, responsables de l’effondrement des populations d’insectes et, en conséquence, du déclin des oiseaux insectivores. Les granivores ne sont pas épargnés : ils sont fortement affectés par la consommation de graines enrobées de pesticides.
D'autres stratégies culturales existent comme l'agroforesterie ou les semis sous couvert végétal mais, dans les deux cas, le niveau de biodiversité reste faible du fait de la nature intrinsèque de ces cultures, qui doivent être les seules de leur espèce à pousser à un moment donné, dans la zone de production définie afin de faciliter la récolte.

Les animaux, c'est écolo !
À l'heure où nous devons envisager un avenir qui se passera des énergies non renouvelables, l'animal est (ou redevient) roi ! Le rôle des animaux est central pour l'entretien de nos paysages et les travaux agricoles quotidiens. Par exemple, la gestion de l’enherbement dans les vergers ou les vignes se fait aujourd’hui avec des machines. C’est pourtant un travail que l’on peut facilement déléguer aux animaux : de nombreux partenariats se font aujourd'hui entre éleveurs et arboriculteurs ou vignerons. L'avantage est, qu'en plus de gérer l'enherbement, les animaux ont une importance dans les processus d'aggradation des sols et l'apport de fertilité.

La biodiversité s’en trouve renforcée : dans une zone pâturée, la biomasse de vers de terre représente l’équivalent de 3 à 5 vaches par hectare. En agriculture conventionnelle, c’est seulement la biomasse correspondant à un veau par hectare et dans les zones d’agriculture intensive, à peine l’équivalent de quelques lapins par hectare ! Or, plus il y a de vers de terre, plus c’est bénéfique pour le sol et, en conséquence, pour les plantes. On peut également penser à l’utilité des animaux domestiques dans l'entretien de paysages ouverts afin de gérer les risques d’incendies, entretenir des bords de routes... ou tout simplement maintenir des écosystèmes emblématiques et riches en biodiversité telles que les dehesas (pâtures en sous-bois clairsemés) espagnoles ou nos précieuses garrigues. Bref, pour envisager l'autonomie de nos territoires, ces précieux animaux jouent un rôle central.

La relance d’un abattoir

En 2017, suite à la mise à jour par l’association L.214 d’actes de cruauté sur les animaux et au désengagement de la Communauté de Communes, l’abattoir du Vigan ferme. Cette situation, si elle est compréhensible du point de vue de la maltraitance animale, met en grande difficulté de nombreux éleveurs en Cévennes, sur les Causses et en garrigue.
Tout de suite, une soixantaine d’éleveurs se mobilisent pour reprendre et transformer l’abattoir.
L'existence de petits abattoirs, non loin des lieux d'élevage, permet aux éleveurs de faire abattre eux-mêmes leurs bêtes, sans passer par des négociants, et de vendre localement leur viande en vente directe, ce qui leur assure un meilleur revenu. Pour les animaux, cela diminue les temps et les distances de trajets, les étapes et le parcage provocateur de stress.
En 2018 l’abattoir est relancé par une coopérative d’éleveurs-tâcherons et un « Collectif pour le soutien et la promotion de l’abattoir Paysan du Vigan » est créé. Les éleveurs-tâcherons sont des éleveurs qui assurent, un jour par semaine, l'abattage des animaux et les autres tâches liées au fonctionnement d’un abattoir. Ils suivent donc les bêtes de la naissance à la mort. Par ailleurs, l’abattoir a travaillé sur la cohérence de l’ensemble de sa filière, notamment sur le processus d'abattage, en partenariat avec les services vétérinaires et une éthologue et sur la valorisation des déchets carnés, avec des élevages canins et l’association Goupil connexion.
Le collectif***** regroupe quant à lui des éleveurs, des associations et des consommateurs conscients de l’enjeu que représente un abattoir de proximité pour le maintien d’une petite agriculture paysanne qui façonne nos territoires, et soucieux des conditions d’abattage des animaux et des conditions de travail des éleveurs-tâcherons. Ils viennent de lancer un appel à soutien que vous pouvez retrouver dans la cuisine de notre local. Parce que faire de l’écologie avec sa fourchette ça ressemble vraiment aux Écolos.


* https://umap.openstreetmap.fr/fr/map/defilinouee_293199

** Florence Faure-Brac, Lo Gafaròt : https://meristemeblog.wordpress.com/

*** Menu et recettes du repas : https://urlz.fr/axPS

**** https://www.thebookedition.com/fr/resilience-alimentaire-et-securite-nationale-p-367243.html

***** http://abattoirpaysanduvigan.fr/



Emilie Rousselle
Après des études d'agronomie et d'aménagement du territoire, je me suis tout naturellement tournée vers les mouvements de la permaculture et de l'agroécologie. Je m'engage aujourd'hui activement pour la transition vers des territoires plus durables, autonomes et résilients, entre autres en m'installant moi-même sur un terrain et en agissant au sein de mon association Humus Pays d'Oc (www.humuspaysdoc.fr).

Thibaut Suisse

Curieux et gourmand, je travaille comme botaniste depuis 2008 pour les Ecolos. Dans cette association, la multitude des possibles et la richesse des rencontres me nourrissent chaque jour.

avec la participation de Sylvie Hurtrez



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