Le buis et « sa » pyrale

Date de l'article 06.01.2020 - 06:00
Auteur Hélène Dubaele et Jean-Pierre Vigouroux
En résumé Retour sur la pyrale du buis, cette fameuse espèce qui impacte fortement notre région Occitanie, à l'instar de nombreuses régions.
L'article

Peu de régions françaises sont épargnées par la pyrale du buis. À l’instar du bois de Païolive en Ardèche ou la forêt de Valbonne dans le Gard, l’arrière-pays héraultais est fortement impacté par l'introduction pourtant récente de ce papillon. En particulier du côté du Pas de l’Escalette et de ses falaises où des forêts de buis ont été attaquées.  


La pyrale... 

La pyrale du buis est un lépidoptère de la famille des Crambidae (Cydalima perspectalis). Originaire d’Asie, sa présence est attestée en  Allemagne en 2007 et en France dès 2008.  Dix  ans plus tard, la pyrale s’apprête à conquérir l’Espagne. À l’âge adulte, ce papillon est aisément reconnaissable, blanc, pourvu d’un liseré marron sur le pourtour de ses ailes. La chenille est jaune à verte avec des stries marrons sur le corps. En Europe, elle ne consomme que du buis (feuilles, fleurs, écorce des jeunes rameaux) alors que dans sa région d’origine, elle se nourrit également d’autres espèces végétales. Très embêtant pour les buxaies européennes, qu’elles soient naturelles ou ornementales. Des expérimentations sur des chenilles élevées en bocal ont montré que, à défaut de buis, ces dernières présentaient une appétence pour les chênes verts et blancs mais aucun dégât naturel n’a été constaté sur ces espèces.

Le fort impact de la pyrale, associé à son extension géographique très rapide, lui a conféré un statut d’espèce exotique envahissante. Le volume et le rythme de ponte de la femelle sont impressionnants. En 15 jours de durée de vie, elle peut pondre de 800 à 1200 œufs déposés sur les feuilles de l’arbre. À 20°C, la durée de développement entre la ponte des œufs et l’émergence des adultes est de 45 jours, en passant par 7 stades larvaires. Trois générations (de la ponte à la mort du papillon) peuvent se succéder en une seule année. En automne, la dernière, sous forme de jeunes en chrysalide va se préparer à la diapause en tissant un cocon en  fils de soie entre deux feuilles de buis. Au printemps, elle reprendra et  terminera son  cycle.                           


Du buis, des buis 

Bien connu pour son usage dans les jardins à la Française où de nombreux jardiniers s'adonnent sur lui à l'art topiaire, le buis (Buxus sempervirens) n'en est pas moins une espèce autochtone en France. Il y est même l'unique représentant indigène de sa petite famille, celle des Buxaceae, qui comporte de par le monde une centaine d'espèces réparties en 6 genres.                     

Comme son nom l'indique (sempervirens signifiant toujours vert), le buis possède un feuillage persistant. Ses feuilles, petites et ovales, au limbe entier mais souvent émarginé à son extrémité, sont nettement vernissées en face supérieure. Elles montrent le plus souvent, dans les trois dimensions, une forme en cuillère. La disposition des feuilles sur la tige (phyllotaxie) est opposée-décussée. Les fleurs, unisexuées, sont discrètes, verdâtres et portées en bouquets à l'aisselle des feuilles. Au sein de ces inflorescences, on distingue les fleurs femelles, au centre, des fleurs mâles en périphérie. Étonnamment, les premières ont généralement un périanthe formé de 6 tépales tandis que, le plus souvent, il s'en trouve seulement 4 chez les secondes : une originalité morphologique qui passe facilement inaperçue. Les pollinisateurs (abeilles, diptères) trouvent du nectar dans les fleurs des deux sexes et, bien qu'il puisse être aussi pollinisé par le vent, le buis s'avère ainsi une plante mellifère notable.  Le fruit est une capsule en 3 parties qui contiennent 2 graines chacune et se séparent à maturité. En les regardant avec un œil de poète - ou d'enfant, ce qui souvent s'apparente -, les deux graines et le tiers de capsule qui les contient, avant qu'elles tombent, nous offrent une œuvre d'art naïf sous la forme... d'un petit hibou aux grands yeux noir-luisant ! Toute la plante dégage enfin une odeur musquée, caractéristique, que certains apprécient quand d'autres la rapprochent de celle que dégage... l'urine de chats. La psycho-physiologie de l'olfaction doit pouvoir expliquer ce discrédit partiel.  Au registre des usages, outre le caractère mellifère du buis, citons particulièrement l'utilisation de son bois en marqueterie, tournerie, etc., pour produire des objets aussi divers que des manches de couteaux, des tabatières, des pièces de vaisselle, des peignes, des clavettes pour les sonnailles, des baguettes de tambours et autres boules de pétanque...  Dans les paysages et les écosystèmes, le buis est une espèce « sociale » commune dans le Midi mais présente jusqu'en Bourgogne et dans le Jura. Si elle supporte divers types de substrats, elle apprécie particulièrement les calcaires et, du point de vue climatique, se rencontre de l'étage méditerranéen à l'étage montagnard moyen, trouvant son optimum au supra-méditerranéen. C'est ainsi que dans la zone des garrigues, encore chaude et sèche, on trouvera des buis à la faveur de sous-bois frais en fond de vallons tandis que, sur les Causses, les fourrés de buis sont nombreux sur calcaire aux sols squelettiques et hors contexte forestier. Refusé par les moutons sauf quand il est au stade herbacé, son expansion sur les plateaux caussenards porte d'ailleurs une double empreinte anthropique : celle d'un surpâturage ovin il y a quelques décennies et celle, depuis lors, du déclin du pastoralisme qui, en l'absence d'entretien des anciens parcours, laisse à notre arbuste libre cours à sa croissance et à l'extension de son domaine. Dans ce contexte de fermeture des milieux, une entreprise agro-écologique innovante, nommée Buxor, a été créée il y a quelques années. Elle vise à utiliser les buis (et divers arbres et arbustes fermant les milieux) pour constituer des sortes de composts, et contribuer à un élevage de cochons.   Revenons un instant aux parcs et jardins. Il faut noter que Buxus sempervirens y est le plus courant des buis, décliné en diverses variétés horticoles (‘Rotundifolia’, 'Angustifolia', 'Elegans', 'Elegantissima'...). Il n'y est cependant pas le seul : Buxus microphylla et d'autres espèces d'origine asiatique, comme ce dernier, y sont aussi cultivées. D'origine asiatique à nouveau ? Ce n'est pas un hasard. La Chine est aujourd'hui l'un des principaux producteurs de plantes d'ornement dont elle exporte un grand nombre en Europe. Par ailleurs, en Chine, en Corée, au Japon, la pyrale « du » buis s'attaque à toutes les espèces de Buxus présentes dans sa zone de répartition ainsi qu'à deux espèces de fusain (Euonymus alata et... E. japonicus, le fusain « du Japon ») et une espèce de houx (Ilex purpurea). L’importation, en Allemagne, de buis infestés venant de Chine est l’hypothèse la plus fréquemment retrouvée dans la littérature pour expliquer l’arrivée de la pyrale en Europe. Il n’est cependant pas exclu qu’elle ait été introduite avec un autre de ses hôtes.  


Les moyens de lutte                             

Sur les petites surfaces, il est possible d’agir manuellement, mécaniquement ou par traitement biologique : récolte et destruction des chenilles, filets, jets d’eau,  application d’huiles essentielles (sureau, thym). Mais les grands espaces sont démunis et ne peuvent compter sur les quelques prédateurs comme la guêpe, le frelon asiatique, la mésange ou le moineau.  L’anticipation prime, en associant les habitants à  la surveillance comme cela a été fait sur le Larzac, plutôt épargné, avec l’appui du Parc Naturel Régional des Grands Causses.

Plusieurs méthodes biologiques, complémentaires, ont été élaborées dans le cadre du programme national SaveBuxus, sous l’égide de l’INRA. Elles s’appliquent aux différents stades de développement de la pyrale. Au stade de l’œuf, c’est un trichogramme (micro-hyménoptère parasitoïde) qui va opérer en pondant à l’intérieur de l’œuf du papillon. La larve du trichogramme se nourrit ensuite du contenu de l’œuf. Au stade de la chenille, une préparation biologique à base de la bactérie Bacillus thuringiensis ‘Kurstaki‘ est privilégiée, l'inconvénient étant que le bacille s'attaque aussi à d'autres papillons (mais pas à d'autres insectes dans la mesure où cette souche est spécifique des Lépidoptères). En complément, il existe aussi des pièges qui vont attirer les mâles avec des phéromones femelles (technique du piégeage sexuel). Cela fait diminuer la quantité de mâles dans les populations et réduit ainsi l'activité de reproduction.   La mise en oeuvre de ces méthodes reste coûteuse à l’échelle de grands territoires. Il faut  surtout compter sur les capacités d’adaptation des écosystèmes, notamment via le développement de la prédation que pourraient exercer diverses espèces. Cependant, à l’heure actuelle, la rapidité de l’invasion rend la résilience difficile. Des buxaies entières ont déjà été décimées et focalisent les attentions d’un suivi scientifique, comme c’est le cas, par exemple, de 5 stations de 10 buis du bois de Païolive (Ardèche). Si certains buis ont résisté à une première attaque, la répétition est fatale. Tout l’écosystème est alors chamboulé avec un assèchement et une augmentation du risque de feu. En attendant, prévoyez du temps en mars pour secouer les buis, faire ainsi tomber les chenilles et les détruire ensuite.   

Sources : J. Martin (INRA), A. Brinquin (INRA),  Fredon, Centre de ressources Espèces Exotiques Envahissantes.   


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