Le monde fascinant des champignons

Date de l'article 06.01.2020 - 05:00
Auteur Daniel Guiral
En résumé Et si vous faisiez connaissance avec des champignons atypiques, magiques et fluorescents ?
L'article


Les champignons, présents sur la terre depuis 450 millions d’année, sont des organismes fascinants dont la biologie n'a pas encore révélé tous ses secrets mais la recherche lève progressivement le coin du voile. À l'heure actuelle plus de 100.000 espèces sont répertoriées mais on estime que leur nombre dépasserait le million et certaines se distinguent par des caractéristiques pour le moins insolites. C'est le cas des fameux "champignons magiques" et des champignons fluorescents.  


Les champignons magiques 


Concernant les champignons pudiquement désignés comme magiques, en fait très concrètement hallucinogènes, ils présentent la particularité de produire des métabolites secondaires entraînant divers troubles sensoriels. L'une de ces substances, les plus connues et répandues, est la psilocybine présente chez diverses espèces (en particulier du genre Psilocybe comme P. azurescens, P.  cyanescens ou P.  cubensis) mais aussi genres (outre les psilocybes diverses espèces du genre  Gymnopilus : G. dilepis, G.  chrysopellus) et même des familles non apparentées entre elles.  Cette observation suggère que ces particularités génétiques qui permettent la synthèse de cette molécule hallucinogène n'auraient pas été héritées d'un ancêtre commun, en fait inexistant, mais plutôt qu'elles se seraient transférées directement entre des espèces génétiquement très éloignées les unes des autres. Ce phénomène est connu sous le nom de "transfert horizontal de gènes" qui peut avoir lieu grâce à divers processus comme par exemple des virus qui prélèvent des gènes d'une espèce pour les transférer chez une autre.   Cependant, une question demeure : "Quel est le rôle de la psilocybine dans la nature ? et quel intérêt peuvent avoir ces espèces à produire cette molécule par transfert horizontal de gène ? Un processus qui dans la nature s’opère en réponse à des facteurs de stress ou pour exploiter des opportunités apparaissant dans l'environnement. C'est en partant de ce constat que les chercheurs ont découvert un premier indice : la capacité de synthèse de psilocybine est observée dans des environnements comportant de nombreux insectes et mollusques mangeurs de champignons. Une fois ingérée la psilocybine interfère avec un neurotransmetteur, la sérotonine, et en perturbe le fonctionnement. Ce mode d'action provoque des hallucinations chez les humains notamment. En outre, il a été démontré que vis-à-vis des invertébrés ses effets sont plus pervers. En effet la psilocybine diminue l’appétit des mycophages en créant chez eux une fausse sensation de satiété mais elle altère aussi le comportement des insectes xylophages tels les termites qui comme eux se nourrissent de bois en décomposition. Il apparaît ainsi que les champignons magiques ont évolué pour devenir hallucinogènes afin d’éviter d’être consommés et pour s’affranchir de la compétition qu’exercent les insectes xylophages sur leurs ressources nutritives et énergétiques.                                      


Les champignons bioluminescents 


Pour les champignons désignés comme fluorescents dans les médias qui sont en fait d’un point de vue scientifique bioluminescents leurs découvertes pourraient faire l’objet de feuilleton. L’espèce la plus bioluminescente des environ 80 espèces bioluminescentes actuellement connues a été découverte en 1839 par un botaniste anglais (George Gardner) après avoir observé des enfants jouant avec des objets lumineux dans les rues de la Villa de Natividade au Brésil. Pensant au départ qu’il s’agissait d’une luciole, il découvrit qu’il s’agissait en fait d’un champignon connu localement pour se développer sur des feuilles de palmiers en décomposition. Il a alors envoyé des exemplaires à des chercheurs du Royal Botanical Gardens, à Kew, en Angleterre qui ont confirmé qu'il s'agissait bien d'une espèce inconnue à laquelle ils donnèrent le nom d’Agaricus gardneri. Puis plus rien pendant plus de 170 ans jusqu’à sa redécouverte en 2005 par des scientifiques brésiliens qui étudiaient une bande de singes dans l'état de Piauí au Brésil utilisant des pierres comme outils pour casser des noix. À cette occasion ils ont redécouvert ce champignon qui poussait à la base des palmiers et qui produisait une lumière intense à l’obscurité. La récolte de ce champignon, plus gros que la plupart des champignons bioluminescents, a permis de procurer des quantités importantes de matériel pour permettre les travaux des généticiens et des chimistes. L’étude  phylogénique a ainsi permis de montrer  qu'il s'agissait d’un taxon frère de Neonothopanus nambi (un champignon toxique des forêts tropicales du sud du Vietnam). Cette parenté a été prise en compte pour donner au champignon brésilien son nouveau et actuel nom de Neonothopanus gardneri. Les biochimistes ont ensuite étudié comment la bioluminescence était produite par ce champignon qui peut émettre en permanence alors que tous les insectes, bactéries et animaux marins bioluminescents connus n’émettent de la lumière que par impulsions brèves. Les molécules et les processus impliqués dans la bioluminescence chez tous ces organismes étaient bien connus et reposent sur l’oxydation d'un substrat (luciférine) catalysée par une enzyme (luciférase) qui produit un intermédiaire de haute énergie (oxyluciférine) qui, pour retrouver son état stable, libère de l’énergie sous la forme d’une émission de photons dans les longueurs d’onde du visible. Pourtant et paradoxalement ces molécules n’étaient pas retrouvées chez N. gardneri alors qu’elles devaient nécessairement être présentes à des concentrations importantes pour permettre une bioluminescence en continu. Les molécules impliquées chez N. gardneri, mais aussi chez les autres champignons bioluminescents, sont maintenant et depuis 2015 identifiées. L’équivalent fongique de la luciférine est l’hispidine.   Ces questions étant réglées, comme précédemment, se pose alors la question : pourquoi des champignons sont bioluminescents ? Une expérimentation subtile a donné tout récemment la solution. En forêt amazonienne ont été disposés des pièges à insectes à proximité immédiate de « champignons en résine acrylique » avec soit à l'intérieur une LED verte émettant une lumière semblable à la bioluminescence produite par N. gardneri soit sans LED. Les résultats sont très nets: les coléoptères staphylinidés, les hémiptères, les diptères et les hyménoptères sont bien plus nombreux à proximité des champignons artificiels émettant de la lumière. Ainsi l’énergie produite pour la bioluminescence attirent les insectes qui peuvent à leur tour contribuer à la dispersion des spores du champignon poussant sous un couvert forestier dense où le vent au sol est fortement réduit. En outre et subtilités supplémentaires : 


  - les champignons, même en culture de laboratoire, ne sont bioluminescents que de nuit en fonction d’une horloge interne : un moyen d’économiser l’énergie de jour pour ainsi être plus performants et attractifs la nuit et ainsi être plus aisément détectables par diverses espèces d’insectes qui eux aussi sont généralement plus actifs de nuit,


  - l’intensité de bioluminescence émise varie considérablement en fonction, de la taille et de l'âge des fruits portés par les palmiers qui jouent ainsi un rôle d’attraction et de concentration dans le temps et l’espace des insectes. En outre cette intensité varie aussi en fonction de l'humidité ambiante, les conditions optimales étant la nuit après une journée chaude suivie d’un épisode de pluie, ce qui correspond ainsi à des conditions optimales pour la germination des spores de champignon après avoir été véhiculées par des insectes fructivores.   


Ainsi le monde des champignons est étrange comme toute la vie qui explore de multiples voies pour ne conserver que les meilleures pour un temps et dans un contexte donné. Des champignons sont donc devenus hallucinogènes pour lutter contre leurs consommateurs et leurs concurrents trophiques directs alors que d’autres sont devenus bioluminescents pour, au contraire, s’allier à  des invertébrés qui contribuent  à leur dispersion.  



Et pour les plus curieux des curieux  


Kaskova Z.M., Dörr F.A., Petushkov V.N., Purtov K.V., Tsarkova A.S., Rodionova N.S., Mineev K.S., Guglya E.B., Kotlobay A., Baleeva N.S., Baranov M.S., Arseniev A.S., Gitelson J.I., Lukyanov S., Suzuki Y., Kanie S., Pinto E. Di Mascio P.,Waldenmaier H.E., Pereira T.A., Carvalho R.P., Oliveira A.G., Oba Y. Bastos E.L., Cassius V.S. Ilia V.Y., 2017.  Mechanism and color modulation of fungal bioluminescence. Science Advances  3(4). 


https://DOI: 10.1126/sciadv.1602847  


Oliveira A. G, Stevani C. V . , Waldenmaier H. E., Jillian V.V., Jennifer M. E., Jay J. L., Dunlap C., 2015. Circadian control sheds light on fungal bioluminescence. Currents biology 25(7). 964-968


https://doi.org/10.1016/j.cub.2015.02.021 


Purtov K.V., Petushkov V.N., Baranov M.S., Mineev K.S., Rodionova N.S., Kaskova Z.M., Tsarkova A.S., Petunin A.I, Bondar V.S., Rodicheva E.K., Medvedeva S.E., Oba Y. Oba Y., Arseniev A.S., Lukyanov S., Gitelson J.I., Yampolsky I.V., 2015 The chemical basis of fungal bioluminescence. Angew. Chem. Int. Ed. 54, 8124–8128


https://DOI:10.1002/anie.201501779 


Reynolds H.T., Vijayakumar V., Gluck-Thaler E., Korotkin H.B., Matheny P. B., Slot  J.C., 2018. Horizontal gene cluster transfer increased hallucinogenic mushroom diversity. Evolution Letters. 


https://doi.org/10.1002/evl3.42



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