Tous pour un et un pour tous

Date de l'article 24.07.2020 - 05:00
Auteur Daniel Guiral
En résumé Comme l’observe dans l’un de ses récents articles de vulgarisation Marc-André Selosse - Professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle et auteur de « Jamais seul : Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations » « le concept d’organisme montre aujourd’hui ses limites : il faut désormais prendre en compte le fait qu’un animal ou une plante ne peut vivre sans les multiples microorganismes qui l’habitent ».
L'article


Tous pour un et un pour tous


Comme l’observe dans l’un de ses récents articles de vulgarisation Marc-André Selosse - Professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle et auteur de « Jamais seul : Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations » « le concept d’organisme montre aujourd’hui ses limites : il faut désormais prendre en compte le fait qu’un animal ou une plante ne peut vivre sans les multiples microorganismes qui l’habitent ».


À ce concept d’organisme et d’individu il est maintenant nécessaire de substituer celui d’holobionte qui désigne l’unité biologique composée de l’hôte (plante ou animal) et de tous les microorganismes qu’il héberge. C’est ce consortium qui agit au sein des écosystèmes en compétition et en collaboration avec tous les autres individus constitutifs de sa population locale soit donc une sous-population elle-même intégrée au sein de communautés multispécifiques très dynamiques car en perpétuelle évolution, adaptation et coévolution. 

Des cellules patchworks et chimériques

Une fraction de ces microorganismes partenaires (bactéries, levures et champignons) est si bien intégrée qu’elle est héritée de génération en génération sans jamais quitter son holobionte car présente au sein même de chacune de leurs cellules ; on parle alors d’endosymbiose. C’est le cas pour toutes les espèces vivantes et pour toutes celles qui ont existé sur Terre. Leur machinerie productrice de l’énergie nécessaire au fonctionnement des cellules repose sur les mitochondries. Ces organites intracellulaires ont comme origine des bactéries qui ont été absorbées (phagocytées) par les cellules des tout premiers êtres vivants. Ces pionniers de la vie, des protozoaires, sont constitués d’une cellule unique. Les plus connus sont les paramécies et autres ciliés qui pullulent dans les macérats de végétaux en décomposition, mais aussi au sein des stations d’épuration, où, en consommant les bactéries, ils maintiennent ces populations en phase de croissance exponentielle. Lors du passage d’organismes unicellulaires à des organismes pluricellulaires, rendant possible une spécialisation des fonctions assumées par les cellules constitutives d’un même organe, ce mode de production d’énergie via les mitochondries a été conservé.  Le même mécanisme d’endosymbiose s’est reproduit pour les végétaux (algues et plantes) qui grâce aux plastes, des organites cellulaires qui contiennent des pigments chlorophylliens, ont la capacité de capter l’énergie lumineuse pour la réalisation de la photosynthèse. Ces plastes sont d’anciennes cyanobactéries qui contenaient à l’origine des pigments verts, bleus et rouges. 



Les mitochondries comme les chloroplastes possèdent leur propre génome conservé de leur statut ancestral de cellules libres. Ainsi toutes les cellules animales ont deux génomes, celui présent dans le noyau qui se modifie à chaque génération et celui au sein des mitochondries presque toujours uniquement transmis par les gamètes femelles (à l’exception de certains bivalves : des moules marines et d’eau douce). De ce fait, l’ADN mitochondrial est un outil très important pour retracer les migrations depuis l’Afrique et l’histoire de notre espèce ou, en police scientifique, pour retrouver des filiations, car tous les membres d'une fratrie vont posséder le même ADN mitochondrial transmis par leur mère, qui elle-même l'a hérité de sa mère.


Les cellules végétales comportent donc  trois ADN : nucléaire, mitochondrial et chloroplastique. Si l’ADN mitochondrial des cellules végétales est beaucoup plus long  que chez les animaux (la plupart de l'ADN en excès est non codant), celui des chloroplastes est si réduit qu’il a besoin de coopérer avec l’ADN nucléaire pour être fonctionnel. En se complétant ils synthétisent l'enzyme-clé de la photosynthèse (Rubisco) responsable de la fixation du dioxyde de carbone  et de sa transformation en carbone organique qui sera stocké au sein de la biomasse végétale où il constituera la base des chaînes alimentaires.


 


Des individus aux capacités dopées par leurs partenaires invisibles


Pour considérables que soient ces endosymbiotes intracellulaires, ils ne correspondent en fait qu’à une infime fraction des microorganismes que tous les êtres vivants hébergent. Grâce aux développements et à la généralisation du recours à de nouveaux outils méthodologiques et technologiques, l’étude individuelle et collective (à l’échelle de leur hôte) de tous ces partenaires est maintenant possible. Inaccessibles par les techniques de la microbiologie classique, car pour la très grande majorité d’eux incultivables en laboratoire, leur quantification et leur étude n’ont pu être réalisées qu’à partir du moment où il a été possible de multiplier, isoler et décrypter leur génome à l’infini.  Cette révolution technique date de la fin des années 1980. En moins de 20 ans elle a conduit à repenser tout ce que l’on pensait connaître de la vie. C’est cette même technologie (Polymérase Chain Réaction, PCR) - adaptée à la mise en évidence de la présence de virus - qui, dans le cadre de la détection de la présence de Sars-Cov-2, fait actuellement notre triste actualité.


 


La révélation de la présence de ces innombrables et très divers partenaires a ainsi radicalement modifié notre vision et notre compréhension du monde vivant, qui repose donc plus sur des logiques de coopération que sur des processus de compétition. Ces nouveaux outils de recherche mis en œuvre en écologie ont permis de mettre en évidence que tous les points d’échange et de contact de l’hôte avec son environnement sont des sites privilégiés de colonisation par les microorganismes.


Chez les végétaux, les feuilles, siège de la photosynthèse, constituent un micro-écosystème (phyllosphère) où diverses communautés microbiennes interagissent dans des conditions de vie très contraignantes mais sans réel bénéfice pour la plante. À l’opposé, au niveau racinaire, sont présentes de très riches et très abondantes communautés microbiennes (bactéries, champignons, Archées et protistes) alimentées en énergie par les exsudats racinaires : les rhizodépôts qui représentent entre 10% à 40% des composés carbonés produits par l’activité photosynthétique de la plante hôte. Exploitant cette source d’énergie, ces communautés apportent l’eau et les éléments nutritifs nécessaires à la vie de la plante dans le cadre d’associations symbiotiques mutualistes. En outre, elles cohabitent avec d’autres bactéries qui, dans le cadre de symbioses associatives ou coopératives (définies comme des interactions facultatives à bénéfices réciproques entre les 2 partenaires), ont des effets positifs pour la plante. Ces aides peuvent être à la fois directes, en produisant des molécules stimulatrices de la croissance racinaire (phytohormones) ou en activant les réponses de défense de la plante (Résistance Systémique Induite), et indirectes, en exerçant un contrôle des organismes phyto-parasites (production d’antibiotiques, compétition alimentaire …). Moins bien connus que les symbiotes mutualistes ces microorganismes symbiotes facultatifs (les PGPR pour Plant Growth-Promoting Rhizobacteria) sont maintenant très activement étudiés car les effets des PGPR offrent des possibilités très intéressantes en agronomie (accroissement des rendements, réduction de l’utilisation des intrants azotés et des produits phytosanitaires, lutte biologique et santé des plantes). Les racines et l’ensemble des communautés microbiennes qu’elles hébergent plus ou moins durablement et spécifiquement, constituent un autre micro-écosystème (la rhizosphère).  Longtemps ignorées puis dégradées par une agriculture industrielle irrespectueuse, la rhizophère et les communautés microbiennes associées sont considérées maintenant comme essentielles au développement des végétaux en  faisant du sol une oasis de vies.


À l’instar des végétaux toutes les espèces animales, et donc l’homme, sont le fruit de la cohabitation avec divers microbiotes intestinaux, cutanés, buccaux, vaginaux et pulmonaires. Tous ces microbiotes sont différents et ils sont propres aux diverses espèces et, au sein de ces diverses espèces, à chaque individu où ils évoluent en fonction des périodes et de ses modes de vie. Pour un homme on estime que le nombre de bactéries de ces divers microbiotes est compris entre 1013 et 1014 soit de 1 à 10 fois le nombre total de nos cellules. Hors de notre contrôle, toutes ces espèces et populations coexistent, s’excluent, se neutralisent, s’entraident et se succèdent.


Dans ce domaine nouveau de recherches, aux implications sanitaires, écologiques, et agronomiques majeures, l’actualité scientifique est exceptionnellement abondante, diverse et, à bien des égards, étonnante et passionnante.


 


Comment voler peut affecter les relations de coopération


Assez rapidement il a été constaté au sein des vertébrés homéothermes (à température constante) que les espèces appartenant à un même ordre avait des microbiotes, en particulier intestinaux, assez similaires. Un constat logique car ces espèces ont des origines communes et des modes et des stratégies d’alimentation similaires. Pour confirmer cette hypothèse les génomes des espèces constitutives des microbiomes intestinaux de 315 mammifères et 491 oiseaux du monde entier ont été qualitativement comparés. Les résultats de cette méta-analyse ont confirmé l’existence pour la grande majorité des mammifères de ce lien entre proximité génétique des hôtes et spécificité de leur microbiote. Les hôtes et les bactéries constitutives de leur microflore intestinale apparaissent ainsi être le produit d’une longue coévolution. Par contre, cela n’est pas observé pour les oiseaux dont les microbiotes varient peu selon les espèces, malgré des modes de vie et d’alimentation tout aussi différents que pour l’ensemble des mammifères. Fait intéressant, l’exception observée pour les mammifères concerne les chauves-souris (Chiroptères), dont les microbiotes sont très similaires entre eux malgré, là aussi, une très grande diversité de régimes alimentaires (insectivores, frugivores, nectarivores, carnivores, piscivores et même hématophages).


Qu’ont donc en commun les chauves-souris et les oiseaux et qui expliquerait la perte de la spécificité de leurs microbiotes intestinaux ?


Mais c’est bien sûr, des ailes et d’avoir ainsi la capacité de voler !


Oui !


Mais alors quels liens entre voler et s’associer collectivement avec des populations microbiennes non spécifiques, censées vous aider ?


 


La première explication envisagée était liée, pour les animaux volants, à une plus grande mobilité et donc capacité à recruter ses partenaires au sein de multiples et très diverses communautés microbiennes. Ces diversifications des possibles auraient eu comme effet de faire disparaître les différences des microbiomes propres aux diverses espèces volantes. Cependant,  on n’observe pas de différence significative entre oiseaux sédentaires et oiseaux migrateurs, qui rencontrent vraisemblablement une bien plus grande variété d'environnements et donc de partenaires potentiels. 


 


L’explication maintenant avancée, en lien avec leur capacité commune de voler, serait de nature anatomique et adaptative. En effet, les oiseaux et les chauves-souris présentent des intestins d’une longueur réduite et des temps de rétention du contenu intestinal plus courts que ceux des mammifères non-volants. Ces caractéristiques anatomiques ont comme effet adaptatif de diminuer la masse corporelle et rendre ainsi le vol plus efficace et/ou énergétiquement moins coûteux. En outre, on observe que ce système digestif réduit résulte principalement d’une quasi- disparition de la partie terminale du tube digestif (côlon) où, chez les mammifères non volants, s’opère la biotransformation par des bactéries anaérobies et fermentatives des aliments non assimilés plus en amont. Ainsi, et à la différence des mammifères terrestres, les microbiotes des oiseaux et des chauves-souris sont caractérisés par, qualitativement et quantitativement, plus de bactéries anaérobies facultatives et moins de bactéries anaérobies strictes ; ces dernières contribuant grandement chez les mammifères à enrichir la diversité et spécificité de leur microflore intestinale. De ce fait, si de nombreuses espèces microbiennes sont spécifiques à une famille de mammifères, les mammifères volants et les oiseaux rompent ce schéma avec de nombreux microbes partagés entre différentes espèces, et peu de corrélations soit avec le régime alimentaire, soit avec l’histoire évolutive de leur hôte.


Cette hypothèse d’une perte de spécificité, conséquence de l’adaptation au vol, est en outre confirmée par la mise en évidence pour les oiseaux non volants (autruches, émeus, casoars, kiwis et nandous) de microbiotes les plus diversifiés au sein des oiseaux ; et, ainsi, assez proches des mammifères hébergeant les microbiotes les moins spécifiques des mammifères terrestres (comme les musaraignes et taupes insectivores, les marsupiaux carnivores ou les pangolins mangeurs de fourmis) et cela en raison probablement de leur histoire évolutive et de leur régime alimentaire particuliers.


Enfin, un système digestif réduit laisse aussi plus de place pour le développement de puissants muscles alaires.


Les fortes exigences métaboliques qu’impose le vol actif conduisent ainsi à des degrés de convergence étendus, inattendus et surprenants.


 


À l’orée de découvertes révolutionnaires


Parmi tous les microbiotes ceux de l’homme ont logiquement fait l’objet d’une attention particulière. Les premières recherches ont porté principalement sur la comparaison des microorganismes trouvés chez les individus en bonne santé avec ceux présents chez des individus souffrant d'une pathologie. Il a été ainsi démontré que la composition du microbiote intestinal des personnes obèses, diabétiques de type 2, autistes, ou souffrant de maladies auto-immunes (lupus érythémateux), d’allergies (asthme), neurodégénératives (Parkinson et Alzheimer), mais aussi affectées par les formes les plus graves de la Covid 19 différait très significativement de celle de personnes sans pathologie. Par contre, il demeure encore des interrogations pour déterminer si ces microbiotes atypiques et de composition déséquilibrée sont la cause ou une des conséquences de la maladie, mais, dans les deux cas, ces découvertes sont porteuses d’immenses espoirs.


 


Plus récemment encore, les chercheurs se sont intéressés à des questions plus générales et fondamentales visant à déterminer les causes des similitudes et des différences observées au sein des divers microbiotes propres à chaque individu en bonne santé à diverses périodes de sa vie et en fonction de son mode de vie et de ses relations avec ses semblables (vivant seul, en couple, en famille, avec ou sans animaux de compagnie). 


Et pour les plus curieux des curieux 


Song S.J., Sanders J.G., Delsuc F., Metcalf J.L., Amato K.R., Taylor M.W., Mazel F., Lutz H.L., Winker K., Graves G.R., Humphrey G., Gilbert J.A., Hackett S.J., White K.P., Skeen H. R., Kurtis S.M., Withrow J., Braile T., Miller M., McCracken K., Maley L., Blanto J.M., McKenzie V. J., Knight R., 2020. Comparative analyses of vertebrate gut microbiomes reveal convergence between birds and bats, mBio. Ecological and Evolutionary Science 11(1). DOI: 10.1128/mBio.02901-19


Selosse M. A.-2016. Au-delà de l’organisme, l’holobionte. Pour la Science (469).


Selosse M. A., 2017. Jamais seul : Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations. Actes Sud. 352 p.