Notre projet kisskissbankbank "Terroirs viticoles" du 11 avril au 22 mai : A découvrir ici

Léa et Philippe se souviennent des camps

J'avais huit ou neuf ans lors de mes premiers camps nature aux écolos de l'Euzière. Je crois que j'étais la plus jeune, mais je n'avais pas peur de grand chose. Je me souviens du gîte, près du Lac du Salagou, de Manu (NDLR : toujours musicien, c'est le fondateur du groupe â??Le Chauffeur est dans le préâ?...), qui jouait la danse de l'ours à la clarinette pour nous rappeler quand on était tous éparpillés aux alentours.

Je me souviens des â??conseilsâ?, ces moments de discussion, de régulation, tous en cercle. On pouvait s'exprimer sur ce qui allait bien ou moins bien, sur des problèmes de ressenti, de relations, de vie collective... On apprenait le respect des autres, les concessions, le temps de parole.

Je me souviens des projets, qu'il fallait choisir en petits groupes, et mener tout au long du séjour. Les livres, il y en avait plein, partout, parfois on ne comprenait pas trop ce qu'ils racontaient, mais ils étaient remplis de magnifiques dessins !

Je me souviens des mains dans la terre, pour aller récupérer des petites bêtes, qu'on observait ensuite au microscope ou à la loupe, qu'on dessinait et qu'on nommait. Je me souviens du seul nom latin d'insecte que j'aie jamais retenu jusqu'à aujourd'hui : Armadilidium granulatum, le cloporte... et ces courses d'escargots qu'on organisait !

Je me souviens des temps d'écoute et d'observation, où on s'asseyait seul(e) dans un coin de verdure, avec une feuille et un crayon, et on se laissait aller à écouter, à rêver ou à écrire quelques mots en vrac sur le papier. Ces moments où on se demande ce que l'animateur veut de nous, mais au bout de quelques minutes de rêverie les questionnements s'envolent...

Je me souviens des douches faites de bâches et où on chantait avec la copine qui était dans celle d'à côté.

Je me souviens des tentes, dans le champ, et des chenilles qui se baladent autour... la course folle à travers champs quand on entendait la clarinette, pour rentrer au camp pour le repas !

Je me souviens de ce projet bouse de vache, où j'ai appris que la vache avait quatre estomacs, ce que voulait dire ruminer et où j'ai découvert la richesse d'une bouse, avec tout ce qu'elle contient de bestioles et de champignons étonnants... Je me souviens ne pas avoir eu peur de mettre les mains dedans, parce qu'au fond â??c'est juste de l'herbe digéréeâ? !

Je me souviens des veillées : concerts nocturnes d'instruments fabriqués avec ce qu'on trouvait, branches, feuilles, cailloux. Des moments de frissons, à écouter la chouette dans la nuit. Je me souviens de mon projet sur le lichen, de toutes ces formes de mousses et de champignons qu'on trouve sur les écorces, au sol... Et de la présentation du projet, à la fin du séjour, avec ce sentiment de fierté et de complétude à présenter ses recherches et à exposer son travail avec des dessins et des petits textes ! Toutes ces journées à crapahuter dans la terre rouge du Salagou, à s'émerveiller devant les salamandres et à revenir le panta lon coloré. Je me souviens du plaisir de se faire des nouveaux copains à chaque fois, et de la tristesse de les quitter à la fin...

De tout ça, je m'en souviens bien, et c'est peut-être ce qui m'a amenée, quinze ans plus tard, en formation de gestion de projet en éducation à l'environnement. Merci aux écolos de l'Euzière, à ce détermination et cet optimisme qui vous pousse à continuer, et à croire en cet émerveillement qui joue un rôle si important durant l'enfance... et même après ! Léa Ostermann.

Philippe se souvient des camps.....

Voilà très longtemps que par la voix de Laurent Marseau, de Mathilde ou d'Émilie, j'entendais parler des séjours buissonniers des Écologistes de l'Euzière. J'étais loin d'en imaginer les saveurs. Jusqu'au jour où je décidais d'en vivre un, sous la casquette ou plutôt la toque de cuisinier. De ce poste là, quand il n'est pas « au taquet » comme disent les animateurs, l'on peut mettre dans son regard un peu de distance et donc mieux comprendre tout ce qui se joue.
Inutile de vous expliquer la démarche généreuse et pour tout dire optimiste qui fonde les séjours. Les documents qui nous en informent sont à portée de mains et d'esprits. Et ce n'est pas à vous, membres de l'A.G que je donnerais des informations inédites. C'est en poète, que je voudrais rendre compte de
l'envergure de l'expérience. Vous me pardonnerez la totale subjectivité de cet exposé. J'espère seulement qu'elle touchera de près la réalité de ce temps partagé.

La ferme de Fiougage est située en Margeride dans le département de la Lozère. Nous sommes à une vingtaine de kilomètres de Mende et à deux pas de l'Aveyron où j'ai quelques attaches.
Il n'y fait pas chaud, même en été, et le vert, malgré la sècheresse de cette année 2011, domine
les autres couleurs. L'espace du camp est considérable mais garde cependant taille humaine. Il est composé d'un grand pré, d'un menu bois de pins Sylvestres, d'un petit terrain clos où se dispose le cercle bleu des tentes d'enfants et de quelques installations destinées à la vie quotidienne. J'y compte un grand marabout d'activités, un autre pour les affaires des campeurs, deux petites tentes consacrées l'une à la cuisine, l'autre au stockage du matériel. Reste un container de 10 mètres carré, faisant usage de bureau,de lieu de recherche et de détente et les soirs de pluie, d'un abri où la promiscuité des animateurs est joyeuse.

L'on ne saurait évoquer l'espace sans parler de celui qui en est le propriétaire. Super Hervé, comme l'appelle Mathilde, ce grand homme d'un demi siècle au regard bleu comme le ciel de la Margeride quand le vent y souffle très fort. Ce berger pédagogue, ancien handballeur et fils de la grande ville,
est une figure indispensable du séjour. Et c'est aussi un homme de cœur.

Voici en quelques lignes ce que j'ai fait crier, à son sujet, j'aurais préféré que cela fut un murmure, le matin du troisième jour!

Hervé voit tout, même s'il regarde ailleurs, mais Hervé ne juge pas.
Hervé entend tout même ce que nous pensons mais Hervé le garde secret.
Hervé comprend tout, même nos peurs et nos angoisses et d'une plaisanterie les éloigne.
Hervé veut tout..enfin pas grand chose....Hervé veut que le temps d'un séjour et dans le souvenir
que vous emporterez, vous soyez tous heureux.

Sur ce terrain bordé de collines encore cultivées, vont vivre pendant deux semaines une quarantaine de personnes dont la majorité sur ce séjour, sont des enfants de 9 à 13 ans. Une solide équipe, composée d'animateurs natures, d'une direction, d'un spécialiste logistique et d'un cuisinier, assure l'entièreté du séjour.

Ces jeunes adultes,je dis jeunes car comme Hervé, j'ai fait moi aussi la moitié du chemin,ont le bonheur pour mission. Cela vous semble sans doute un peu court en rapport à tous les objectifs
que les animateurs se sont fixés en amont du camp. Si je vis, dit le poète Joseph Delteil,(encore un épris de vie sauvage), c'est pour faire l'expérience ici même de la totalité du bonheur.

Alors ce bonheur, comment le transmet on ici ? Comment l'infuse t on devrais je dire ? Eh bien là, vous
pardonnerez mes dithyrambes, c'est du grand art. On est loin, très loin de ces camps d'été où l'on remplit le jour d'activités dites champêtres et de chansons plus ou moins niaises. Ici, l'on prend l'enfant très au sérieux et on le met, n'en déplaise au ministère de l'éducation nationale, au centre du projet, de son projet de vie. Il est beau, à travers mille activités, de voir petit à petit l'animateur s'effacer et laisser croître l'enfant ou le pré adolescent, non comme la société le fait aujourd'hui,en tyran capricieux et triste, mais dans le respect de son histoire et de sa nature. Et pour ça, l'on fonde la vie sociale, à petits coups de conseils ( le conseil quotidien des sages est un pilier du séjour) de débats d'idées, de réunions intimes, de « comment ça va ? » et bien sûr de relations de confiance. Chose surprenante, l'adulte ici n'élève jamais la voix. Je me suis un jour trouvé bête à vociférer une demande d'attention, immédiatement rachetée par des mains levées, pour tout dire non violentes et efficaces dans leur dessein. La patience est une autre vertu du camp et de tous ses participants, jusqu'au cuisinier apprenant à servir un soufflet au fromage un peu moins rebondissant. Et puis il y a ces magnifiques outils de l'homme qui s'appellent bienveillance et bonne volonté. Nous ne sommes pas éloignés de ces béatitudes
fondatrices :
paix aux hommes de bonne volonté, bienveillance parmi les hommes...sur lesquelles on a si vite fait de cracher. Dans ces séjours dits buissonniers,l'amour n'est jamais dit, mais il règne dans le moindre geste et évidemment porte de beaux fruits. Il n'y a qu'à regarder tous ces jeunes vivants s'ouvrir et répandre peu à peu leurs parfums, même s'ils doivent parfois faire quelques fois la grimace/
Je vous fais quelques confidences:
La vie m'amène à reconsidérer certaines options. J'ai longtemps vécu sous les auspices de la rébellion ou tout au moins sous ceux de la solitude;prétextant, avec Eric Satie, que « plus je connaissais les hommes et mieux j'aimais mon chien ». Et pourtant, main gauche, main droite, à cinquante ans,la vie me pousse vers deux exemples communautaires, très différents dans l'expression et pourtant partageant de nombreux idées communes. Ici, un projet temporaire de vie commune en plein air,fondé sur l'idée que nature et humanité n'ont plus à se faire la guerre mais à s'inviter au même festin,qui est celui de la joie, c'est le projet des écologistes de l'Euzière; là un autre projet de partage, ancré dans la foi, avec les plus démunis de tous, des adultes handicapés mentaux, c'est celui de l'arche de Jean Vannier. L'un et l'autre ont compris qu'il n'y a pas savants et incultes, médecins et malades, éducateurs et éduqués, mais un chemin d'échanges à parcourir ensemble, à travers nos fragilités mais aussi d'audacieuses ambitions. L'un et l'autre sont en chemin vers une haute idée de l'homme, et se proposent d'en vivre les exigences.

Je disais bienveillance et bonne volonté...je les ai vus à l'œuvre dans ce camp d'été, chez les adultes comme chez les enfants. Et à mi-chemin du séjour, j'en appréhende les effets sur ma nature sensible.
Ici, qu'on soit animateur ou animé on se partage toutes les taches et on apprend à les faire avec la danse ou le sourire; et si c'est parfois en rechignant au fond de soi, devant une vaisselle ou une comporte d'excréments à vider, on sait qu'il en va du voyage de tous, qu'à s'y refuser, au terme, on risque le naufrage. C'est donc une école d'humanité en plein vent à laquelle par bonheur j'ai été invité.

Dans cette communauté buissonnière, tout a été, progressivement je suppose, pensé. On ne vit pas ensemble sans règles ni lois, on ne vit pas ensemble sans lieux et offres de paroles, on ne vit pas ensemble sans circonscrire des espaces et sans aussi les élargir, on ne vit pas ensemble sans se confronter à des violences diverses et des résistances, on ne vit pas ensemble sans créations.

Dans cette communauté buissonnière, tout a été pensé, jusqu'à cette journée quasi sabbatique où l'on se repose de cet air vif de montagne, de la proximité des autres campeurs et des attentions laborieuses.

Dans cette communauté buissonnière on n'oublie pas la part des mains. Si l'on retrouve d'anciens gestes,pour faire bidouilles et trucs d'antan, on y trouve aussi des regards qui sont autant de promesses.

L'on ne sort pas indemne d'un pareil séjour. Coralie, une animatrice,me parlait d'aventure humaine. Et me vint tout de suite l'image d'un grand voilier que je nommerai l'épreuve de joie. Ici l'on se confronte aux autres et comme le dit l'enfant ça coûte, ça coûte,ça coûte. On s'aperçoit très vite, dès la première tempête, que tout le monde compte, du moussaillon au capitaine en passant par les matelots et l'homme de quart. Le cuistot tient aussi une large place, non à cause des ses rondeurs, mais du rôle de rassembleur et de rassureur qu'on lui fait jouer. L'éloignement des familles donne à la cuisine l'aspect d'une médecine d'amour.

Je n'ai pas nommé, sans doute pour ne pas les avoir vécues, toutes les animations proposées aux campeurs. Je sais qu'elles sont toutes aussi intelligentes que formatrices. On y apprend l'autre à travers le jeu, la dépense physique et la découverte des pleines ressources de l'environnement. Le zagamort,
le jeu du facteur, les douaniers et contrebandiers, résonnent à mon oreille comme des sources de joie.
Mais celui qui a ma faveur, j'en connaissais la version allemande des anges gardiens, est bien ce jeu de la cacahuète, où pendant le séjour, chacun tire au sort une cacahuète à choyer. Que de richesse dans ce jeu apparemment bénin, où, toujours bienveillant, l'on parsème l'espace du camp de courts messages
à l'attention de son protégé. A ce jeu, nos mains nous aident à lui façonner de petits objets qui sont autant de poèmes. Et si l'on tombe sur quelqu'un que l'on n'apprécie guère, mais là je crois qu'il faudrait davantage expliquer les finalités du projet, il faut aller chercher profondément en soi pour trouver comment le chérir. Quant à celui qui a la chance de tirer au sort, une belle amoureuse, dans le plus strict anonymat, il pourra la couvrir de bienfaits.

Je n'ai pas fait état du rôle des métiers que les enfants vont tour à tour pratiquer dans une dynamique
de projet. Dire tout ce que cela devrait leur apprendre serait un peu fastidieux. J'y vois une ressemblance avec la belle image du compagnonage d'antan. Ce que l'on prépare pour la prochaine foire et surtout celle où les parents seront invités, sera naturellement beau, objet fragile parce qu'en germe d'accomplissement mais porteur d'un sens venant contrarier les fureurs du consumérisme. Je suis sûr de garder longtemps la petite cuillère en bois que Zac m'aura sculptée et sur laquelle il aura gravé nos deux noms.

Sachant combien le temps d'une AG est compté à chaque participant, je me propose de terminer par une petite série de haikus, écrits sur le motif, comme des photographies poétiques. Mais avant, je voudrais honorer, toujours en poète, la vitalité de cette équipe, la seule que j'ai connue mais que je suppose emblématique de la plupart. Les yeux pleins de larmes, je les remercie de m'avoir convié à cette formidable expérience humaine.

Horizon jaune -
tous les enfants avec
une lampe de poche

étagères de bois
bols d'argile
encore non cuits


vent du soir -
debouts sur la table
cueillant des merises


petit matin
l'enfant pressé de terminer
son canapé de cabane

comme ils s'en vont le soir
un à un
le matin ils reviennent

et en guise de signature ces deux-ci

comme les jours
s'envolent, s'envolent
les pelures d'oignons.

Plein vent -
la fillette court
après mon haiku

Philippe Quinta