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Histoires de salades


Pourquoi ne mangeait-on pas de mauves en Provence ?

Lorsque quelqu'un passait de vie à trépas, on disait de lui :
Es ana fuma lei mauvo, ou Es ana engreissa li mauvo (il est allé fumer les mauves ou il est allé engraisser
les mauves).

Car les racines de la mauve (Malva sylvestris L.) s'enfoncent jusqu'à une profondeur où reposent nos
morts. Aussi, il ne viendrait à personne, l'idée d'en manger. A personne ? Peut-être pas car on disait pour se
moquer des habitants de Mazaugues (un village de la Sainte Baume) : « Quand an pas d'espinard mangeon
de mauga
», (Quand ils n'ont pas d'épinards ils mangent des mauves).

Cette croyance, concernant la mauve, est étayée par le conte suivant :
« Il était une fois, un roi qui avaient trois fils. Un jour, il tomba gravement malade et dit à ses enfants :
"Allez, vite, me chercher de la mauve, le premier qui m'en apportera aura ma couronne en héritage." Ils
partirent aussitôt. Mais alors que les deux plus jeunes se mettaient à la recherche de la plante, l'aîné se cacha
derrière un arbre. Et lorsque le benjamin revint en serrant une poignée de mauve, l'aîné surgit de sa cachette,
le tua à coup de pierres puis l'enterra dans un fossé. Sûr de son impunité, il porta les plantes à son père.

Mais, dans la terre où il avait caché le corps, poussèrent de magnifiques mauves. Un berger qui passait par
là voulut en cueillir.
  • La plus belle des fleurs se mit à parler :
  • "Pastre, ô pastre es pas tu aqueu que m'as tuat per un pauc de mauva." (Et oui les mauves parlaient provençal à l'époque)
  • "Berger, oh berger ! Ce n'est pas toi qui m'as tué pour quelques brins de mauves."

  • Étonné par un tel prodige le berger porta la fleur au roi et la fleur dit :
  • "Roi, oh Roi ! Ce n'est pas toi qui m'as tué pour quelques brins de mauves "

  • Le roi donna la fleur à la reine et la fleur dit :
  • " Reine oh Reine ! Ce n'est pas toi qui m'as tué pour quelques brins de mauves "

  • La reine donna la fleur à son fils aîné et la fleur dit :
  • "Frère, ô frère ! C'est toi qui m'as tué pour quelques brins de mauves."
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Le roi se fit conduire là où avait été cueillie la fleur, on creusa la terre et
on découvrit le corps du jeune prince. Trois jours plus tard, l'aîné monta sur l'échafaud et le cadet sur le
trône. »

C.M.

* * *
- L'illustration est tirée de Köhler, Medizinal Pflanzen, Allemagne, 1887 (Wikimedia Commons).
- Les expressions citées apparaissent chez Frédéric Mistral, Lou trésor dou felibrige ou dictionnaire provençal-français (1878), T. II, p. 305 à
MAUVO ; chez Eugène Rolland, Flore populaire, T. III (1900), p.107 et Pierre Rollet, Lou gaùbi provençau (1973), expr. n° 209.
- La moquerie adressée aux gens de Mazaugues provient de Claude Seignolles, Le folklore de la Provence (1963) - p 125.
- Le conte est adapté de "La fleur qui parle", J.B. ANDREWS, Contes populaires et légendes de Provence (1974). Il existe un conte semblable
à propos de â??La fleur de Laurierâ? dans Contes Folkloriques de l'Ariège, revue Folklore n° 77, Hiver 1954.