Omelette au Cèpe façon Wotan - Step by Step
Première étape
Vous sollicitez Loulou et Jean-Marie pour l’organisation d’une sortie mycologique en Lozère.
Seconde étape
Une
fois sur place tout le monde se disperse et normalement dans les
minutes qui suivent vous devez entendre un cri de Jean-Marie dont la
traduction serait quelque chose du genre : Ayé j’en ai un ! En outre si
cet « Ayé j’en ai un !» se mue en un gros mot, c’est que la trouvaille
fongique doit être conséquente. Cette année comme le gros mot a été
bissé immédiatement tout le groupe a convergé autour de son chef. Les
habitués ont plus particulièrement compris l’importance de ce message et
sont passés par leur coffre récupérer les haches.
Prestement le
champignon, en fait un truc énorme, a été abattu et sanglé sur le
plateau d’un pick-up ainsi que les haches pouvant s’avérer être des
outils particulièrement dangereux. Pour les années à venir il faudra,
car on ne sait jamais maintenant, aussi penser à prendre un lien (corde,
sandow ou autre) pour éviter, si le coffre ne peut plus être fermé, de
devoir rouler le coffre ouvert ; c’est en effet très mauvais pour les
passagers d’inhaler le temps du trajet de retour des Hydrocarbures
Aromatiques Polycycliques (HAP) et de plus pyrogéniques.
Le
travail étant fait il ne restait plus, pour finir la matinée, qu’à
écouter le chant des oiseaux, regarder tomber avec grâce les premières
feuilles automnales aux couleurs incandescentes, mâchonner le bout d’une
tige de canche flexueuse (Avenella flexuosa, naguère appelée
Deschampsia flexuosa) …. Soit, pour faire court, buller !!
Troisième étape
Retour
au camp de base et, comme Jean-Marie est un être sensible, il lui a été
proposé d’exposer les différences existant entre son champignon et tous
ceux récupérés par le reste du groupe que l’on récolte « pour la
Science ». Des champignons, qui outre le fait d’être d’une taille
normale, présentent très souvent à la base une volve avec un anneau
laissant de fines fibrilles ou des flocons sur leur chapeau vert
olivâtre un peu visqueux quand il est humide. Ces champignons « pour la
Science » bien plus petits que ceux de Jean-Marie sont aussi
redoutablement toxiques et même à très petite dose. Bien évidemment tout
le groupe avec compassion et empathie a alors réconforté Jean-Marie en
lui indiquant que lui aussi un jour pourrait trouver des champignons «
pour la Science » et que l’essentiel est avant tout d’être ensemble.
Quatrième étape aux cuisines
Les
moins passionnés de sciences, après avoir balayé les cônes d’épicéa
tombés sur le chapeau et les plaques de mousses colonisant le pied, ont
commencé un premier découpage du champignon à la tronçonneuse tant le
pied que le chapeau car avec les champignons de Jean Marie, point de
vers et autres miasmes, tout est bon et il faut bien l’admettre,
désespérément bon.
Les blocs sont ensuite repris par d’autres qui à
la machette, au sabre, au tranchoir ou au simple coupe-chou les
fractionnent en morceaux plus adaptés à la consommation humaine. Les
plus artistes et esthètes (et pas que de veau) peuvent s’adonner à la
sculpture et faire de ces blocs des tours Eiffel, des plateaux de Gizeh
avec pyramides et Sphinx dont, ironie du sort, le nez a été
particulièrement touché par une aspergillose : une mycose nasosinusienne
manifestement très courante au haut empire égyptien. Mais je m’égare, reprenons.
Les
morceaux et autres sculptures sont alors mis à suer dans un grand plat à
paella afin que champignon et cuisiniers rendent conjointement toute
leur eau. En outre pour bien faire suer, chauffez avec modération, il
est en effet inutile, voire dangereux, de vouloir aller trop vite au
risque d’écraser le champignon.
Cinquième étape : préparation du liant
Deux
possibilités soit : vous connaissez un élevage d’autruches (Struthio
camelus) et vous avez des liens familiaux avec Usain Bolt et vous pouvez
alors envisager de dérober un œuf récemment pondu à son autruchonne de
mère soit, et peut-être plus simplement, vous allez acheter trois
douzaines d’œufs de poules (Gallus gallus domesticus) à votre
agriculteur bio
préféré. Dans ce cas, pensez si ce producteur est
aussi coturniculteur à acheter un ou deux œufs de caille et cela afin de
préparer le clitocybe améthyste (Laccaria amethystea) et le pied de
mouton (qui compte tenu de sa taille était en l’occurrence plutôt un
pied d’agneau) qui éventuellement auraient été récoltés par erreur par
les mycologistes “pour la Science”. L’objectif étant en effet dans
l’omelette aux champignons façon Wotan de faire des champignons liés par
les œufs et non l’inverse.
Quand vous vous êtes procurés votre œuf
d’autruche ou de poules et de cailles frais après en avoir cassé les
coquilles vous récupérez le jaune et le blanc car, comme pour les
moules, les huîtres, les châtaignes ou les homards, la seule partie
réellement consommable d’un œuf se limite à l’intérieur et donc à la
différence du cochon, par exemple, où tout est bon.
Après avoir salé et poivré vous mélangez progressivement le blanc et le jaune.
À ce stade nous vous offrons un double bonus, fruit d’une longue expérience :
- Ne perdez pas de temps à rechercher le blanc avant de mélanger, vous
ne le trouverez pas, et c’est normal ! En effet et très probablement par
convention, dans un œuf, le blanc est tout ce qui n’est pas jaune.
-
La notion de fraîcheur pour les œufs n’a rien à voir avec la
température, au point que des œufs très, très, frais peuvent même être
chauds. En effet, la fraîcheur pour un œuf se définit en fonction du
moment où il a passé le sphincter de sa mère pondeuse, un muscle
circulaire fermant le canal où débouchent en vrac le côlon (coprodeum),
les deux uretères et l’oviducte (urodeum). Ce mode de ponte
correspondant à une expulsion des œufs via un sphincter fermant en aval
un vrai cloaque est probablement à l’origine de la forme actuellement
ovoïde des coquilles d’œufs. En effet, il est logique de penser que les
toutes premières espèces d’oiseaux qui avaient opté pour des œufs
ovoïdes ont eu un plaisir à pondre, et donc une fécondité supérieure à
toutes les autres espèces qui avaient, elles, testé des œufs à coquille
de moule, d'huître voire de Saint-Jacques. Indépendamment de ces
importantes considérations adaptatives et évolutives, le message qu’il
est ici indispensable à retenir : si les œufs ne sont pas frais - et
cela donc en référence à leurs dates de ponte et non à leurs
températures - il est trop tard pour en faire une bonne omelette, mais
aussi, bien, bien, trop tôt pour un coq au vin par exemple.
Sixième et ultime étape
Toujours
à feu modéré, vous versez, sur les champignons qui en ont eu assez de
se faire suer, les œufs battus (âme sensible s’abstenir). La chaleur va
alors conduire à une dénaturation et coagulation des protéines avec la
formation de ponts disulfures et une cassure des liaisons hydrogènes
permettant un réarrangement de la structure tertiaire des protéines. Le
tour est alors joué qui peut se ponctuer d’un tonitruant : Ayé c’est
prêt !
Il ne vous reste alors plus qu’à convier le chef mycologue et
ses assistants culinaires, le groupe des écolos en goguette, les
voisins, les autorités municipales, le club des anciens boulistes de
Lozère… à venir déguster cette étonnante omelette façon Wotan qui,
malgré son nom, n’a pas d’autre prix que celui de l’amitié.
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