Mieux connaître et faire connaître les prairies alluviales du bassin de l’étang de l'Or

Date de l'article 24.07.2020 - 16:00
Auteur Nicolas Manceau
En résumé En 2018, les écologistes de l'Euzière ont commencé une étude sur les prairies alluviales du bassin versant de l’étang de l’Or, le long du Bérange, de la Viredonne ou des affluents du Salaison. Des adhérents et des habitants de ces secteurs ont participé à une partie de cet inventaire lors de 5 sorties naturalistes. Ce travail va maintenant se prolonger jusqu'en 2022 pour aller plus loin pour protéger et restaurer ces milieux singuliers et méconnus.
L'article

L'objectif de cette première étude (2018-2019) était de connaître ces prairies alluviales en réalisant un état des lieux (biodiversité, usages, pression d'artificialisation et rôle dans l’expansion   des crues) et, pour mieux les protéger, de trouver les leviers pouvant être mobilisés pour les conserver ou pour restaurer des continuités.

Des espaces méconnus aux multiples enjeux

Les prairies riveraines sont des formations végétales  qui bordent les cours d’eau. Elles se développent sur des sols issus des alluvions déposées lors des crues.


Elles participent fortement à la gestion de l’eau, parce qu'elles constituent des zones tampons pour limiter le transfert des intrants agricoles vers les cours d’eau et des zones d’expansion et d’écrêtement des crues.


Les prairies naturelles alluviales abritent une riche biodiversité,

Elles sont par définition un espace de production d'herbe, pâturée ou fauchée, rendant leur gestion et leur préservation complexes. D’autre part, en contexte péri-urbain, elles constituent des secteurs sollicités par des aménagements urbains et industriels. 

Ce sont les raisons pour lesquelles de nombreuses prairies sont en mauvais état de conservation ou menacées.

Malgré leur fragilité, leurs enjeux de biodiversité forts et leurs fonctions multiples, les prairies alluviales, en zone méditerranéenne, ont jusqu’alors fait l’objet de peu d’études ou d’actions spécifiques de conservation, en particulier en dehors des zones Natura 2000.

Le bassin de l’Or et le territoire d’étude

Le bassin versant de l’Etang de l’Or se situe dans la partie sud-est du département de l’Hérault. Couvrant une superficie d’environ 410 km², il présente une topographie peu prononcée.

Les marais et zones humides périphériques de l’étang de l’Or sont gérés dans le cadre d’un site Natura 2000 depuis 2007. En dehors du pourtour de l’étang, les espaces riverains ou alluviaux non dédiés à l’agriculture ou à l’urbanisation sont très réduits, le plus souvent limités à une petite ripisylve en bordure de cours d'eau. Ce sont ces espaces naturels, hors site Natura 2000, méconnus et menacés, que cette étude s’est efforcée de mieux connaître.

La caractérisation écologique des prairies étudiées

45 relevés floristiques complets ont permis de préciser certaines de ces formations végétales , notamment celles à plus fort enjeu de biodiversité, dites patrimoniales. Même si certaines de ces végétations (ou habitats naturels) sont bien appréhendées et décrites de longue date, de plus nombreuses restent peu ou mal décrites en contexte méditerranéen français. Pourtant, de nombreuses végétations étudiées présentent un grand intérêt en raison de leur originalité biogéographique et écologique et/ou de la rareté des espèces qu’elles abritent.

Le relevé et l’interprétation de 27 carottes de sol ont révélé une majorité de sols argileux peu évolués, développés sur des alluvions récentes.

Les contextes hydro-géomorphologiques dans lesquels on rencontre les dernières prairies naturelles riveraines sont très divers et difficiles à appréhender. La durée de saturation en eau des sols et l'intensité de l'activité agricole ou pastorale sont les 2 facteurs majeurs de structuration de ces habitats. 

L’inventaire des milieux prairiaux riverains

La cartographie des habitats naturels riverains des cours d'eau a été réalisée sur plus de 2 000 hectares, Sur cet ensemble, les prairies naturelles représentent seulement 8% (157 ha) et les prairies humides  moins de 2 % (35 ha).

Au total, 16 habitats prairiaux ont été considérés, plus un représentatif d’une friche.

Les habitats les plus patrimoniaux sont les gazons amphibies, très rares et ponctuels, et les prairies de fauche.

Les prospections de terrain et les données bibliographiques collectées permettent d’identifier 33 espèces végétales patrimoniales, 7 espèces remarquables d'insectes et 38 espèces de vertébrés patrimoniaux. Ces milieux jouent également un rôle important dans le maintien d’espaces vitaux et de corridors favorables à plusieurs espèces plus ou moins spécialisées, telle la Diane (un papillon), le Campagnol amphibie ou le Crapaud calamite. Sur ce volet, les lacunes de connaissance restent néanmoins nombreuses à combler : quelles sont les communautés d’Orthoptères associés ? Les chauve-souris patrimoniales viennent-elles y chasser ? La présence de prairies favorise-t-elle la présence de libellules remarquables dans les cours d’eau ?

L’état de conservation des prairies naturelles apparaît globalement défavorable (pour 68% des parcelles évaluées, représentant 95 ha), en raison du développement des arbres ou d’un pâturage excessif.

La majorité des prairies naturelles prospectées sont pâturées (majoritairement par des chevaux). Les pratiques de fauche restent limitées (13%). La majorité des prairies naturelles patrimoniales (enjeu fort à très fort) sont non déclarées à la PAC. La plupart sont de propriété privée, mais quelques-uns des sites patrimoniaux sont en partie sur une propriété publique (commune, établissements publics, syndicats mixtes…).

En considérant l’ensemble des composantes écologiques, huit sites montrent un intérêt patrimonial élevé, et, parmi eux, quatre sites présentent même des enjeux de conservation très forts :

le Bois de la Mourre, à Mauguio, et son cortège floristique,

- le vallon du Bérange, continuité de prairies bocagères sur près de 2 km, entre Sussargues et Saint Geniès des Mourgues,

- les sources de la Viredonne, à Restinclières, un petit site original abritant une station majeure d’une plante très patrimoniale, mais menacée par un contexte périurbain (route, cultures, périphérie de village),

- le Christoulet, petite zone humide pâturée présentant une flore spécialisée exceptionnellement riche.

L’identification de la trame prairiale turquoise

La trame turquoise est définie comme l’espace nécessaire à la bonne expression de la biodiversité aquatique et humide. Elle peut être considérée comme la zone d’interaction entre la trame verte des écosystèmes terrestres, et la trame bleue des écosystèmes aquatiques.

Les 21 espèces identifiées pour établir ces trames peuvent être regroupées en 6 modèles biologiques. La trame turquoise associée à trois de ces modèles a pu être modélisée.

Des compléments d’inventaire sont nécessaires pour mieux comprendre la trame à préserver. Néanmoins, les premières conclusions suivantes peuvent être retenues :

- les communautés liées aux prairies humides sont à rechercher en priorité en périphérie de l’étang de l’Or (ex : certains orthoptères) ;

- des prospections chauves-souris, notamment le long du cours supérieur du Bérange, seraient judicieuses, pour rechercher des espèces à fort enjeu de conservation,

- certains cours d’eau (Bérange, Dardaillon) montrent des continuités intéressantes, séparées par des lacunes qui seront d’autant plus difficiles à combler que des usages agricoles y sont bien établis,

- plusieurs sites dégradés montrent néanmoins un contexte favorable à des opérations de restauration.

Les dynamiques en cours : opportunités et menaces

La consultation des documents de planification disponibles révèlent très peu de menaces vis-à-vis des prairies naturelles identifiées.

L’étude hydraulique réalisée par Egis Eau entre 2015 et 2017, préalable à la définition du Programme d’Actions de Prévention des Inondations (PAPI), liste plusieurs modalités d’intervention au niveau des espaces riverains étudiés. Une vigilance est alors nécessaire pour limiter d’éventuelles dégradations des milieux naturels. Plus intéressantes, certaines interventions peuvent avoir un effet convergent sur la restauration de la trame turquoise. De telles convergences ont été soulignées, notamment au niveau du Bérange.

Les leviers de protection et d’amélioration


Différentes mesures sont proposées pour répondre aux deux principaux objectifs qui ressortent de  ce diagnostic :

1 - préserver les prairies patrimoniales,

2 - renforcer la trame turquoise.

Deux dispositifs nouveaux pourraient notamment être mobilisés :

-        les Obligations Réelles Environnementales (ORE)

-        les Paiements pour Services Environnementaux (PSE).


L’application de ces mesures reste à adapter à chaque site.

Pour la restauration de sites dégradés, retenons notamment le retrait de digues. De telles approches permettent en général d’obtenir des effets convergents sur la lutte contre les inondations et l’érosion des lits mineurs, l’amélioration de la géomorphologie du cours d’eau et la restauration des milieux naturels.

Affaire à suivre :

Cette étude démarrée en 2018 s’est terminée fin 2019. Une nouvelle étude prend la suite sur 2020-2022. Elle vise à :

  • répondre aux questions en suspens sur le rôle des prairies dans le réseau écologique,

  • enquêter et dialoguer avec les éleveurs,

  • protéger les sites les plus patrimoniaux,

  • envisager la restauration ou la renaturation de sites.