Tribune Le Monde - « Défendre l’écologie scientifique est politique »

Date de l'article 06.01.2020 - 12:00
Auteur Jean Burger
En résumé Cette tribune parue dans le quotidien Le Monde du 18 décembre dernier, fait écho à ce que sont les écologistes de l’Euzière depuis leur fondation, au début des années 70 (bientôt 50 ans !). Dès cette époque nos “pères fondateurs” avaient voulu que tous les publics puissent accéder à des informations et à une façon d’appréhender et de comprendre le monde portées par l’écologie scientifique.
L'article

  Tribune parue dans le quotidien Le Monde,  le 18 décembre 2019           

La crise environnementale actuelle alimente de nombreuses réflexions militantes, politiques, et/ou scientifiques, dites « écologiques ». Face à cet engouement, des scientifiques rappellent à raison que « l’écologie est avant tout une science, pas un mouvement politique ». Mais pour autant, n’y a-t-il rien de politique dans la défense de l’écologie   scientifique ? 

Au contraire. Nous pensons que promouvoir une écologie scientifique relève aussi d’intentions politiques. Il ne s’agit pas, alors, de mener un combat politicien, soucieux de victoires partisanes. Il s’agit de rejoindre l’espace public pour peser dans l’élaboration d’un projet de société commun. 

L’actualité nous rappelle régulièrement que nous sommes entrés dans une remarquable crise écologique. Un déluge de mauvaises nouvelles est déversé par des médias apparemment désordonnés, et parfois mal informés. Ce flux est largement commenté par une diversité de discours. Il ouvre des débats publics qui doivent amener à des prises de décisions politiques, souvent dans un climat d’urgence. Nous pensons que l’écologie scientifique et plus concrètement les scientifiques qui l’incarnent doivent sortir plus souvent de leur laboratoire, et rejoindre l’agora, pour participer à ces débats. Pour l’enrichir de leur capacité particulière à caractériser la situation, sans craindre d’apparaître ainsi politisés. 

Car ce serait, indubitablement, politique. Car défendre publiquement les connaissances scientifiques impliquerait de rappeler la position spécifique de l’activité scientifique dans la cité. La science a vocation à produire un discours désintéressé, sans ambitions personnelles, électoralistes ou financières, donc sans conflit d’intérêts. Seules doivent compter la qualité des données, méthodiquement recueillies, et leur interprétation, rigoureusement discutée et collectivement validée.        

Ce serait évidemment politique. Car cela impliquerait de convaincre les concitoyens de la nécessité d’un effort de financement public, à hauteur des enjeux, de la recherche scientifique. Il faudrait alors dénoncer, non plus seulement que les moyens alloués sont aujourd’hui insuffisants, mais aussi que nous subissons une évolution délétère du pilotage de la recherche par les États, notamment européens. Ceux-ci, en effet, privilégient dorénavant un financement de la recherche sur contrat, éventuellement privé, impliquant une mise en compétition des chercheurs. Or ces choix fragilisent l’indépendance des scientifiques, en encourageant l’attrait pour des succès rapides ou des financements faciles, au détriment de la réflexion et la prise de recul.  

Mettre au défi les discours sceptiques  

Ce serait résolument politique, dans la mesure où cela mettrait au défi les discours sceptiques, qui remettent en cause l’interprétation des données disponibles, quitte à jeter le doute sur les travaux scientifiques, comme les discours collapsologiques, qui spéculent sur l’effondrement prochain de notre monde, au risque d’alimenter les peurs et de déchaîner les passions. Il ne s’agirait pas de nier absolument ces discours. Il s’agirait de s’y confronter, de relever le défi intellectuel qu’ils proposent. 

Ce serait profondément politique, puisque cela démontrerait que l’activité scientifique n’aboutit pas qu’à des dissertations élitistes, proférées depuis un indifférent perchoir, mais relève aussi, assumons-le, d’une démarche philanthropique. Parce que nous considérons qu’étudier et comprendre scientifiquement la nature, pour mieux la préserver, devrait être profitable à tous. 

Cela étant, il n’y a dans l’appel à une défense publique des connaissances scientifiques aucun scientisme. Ce serait anachronique après les déconvenues du siècle dernier, marquées par une confusion entre progrès scientifique et progrès social. Et ce serait méconnaître la science. Les connaissances scientifiques sont, à tout moment, transitoires. Le discours scientifique pourrait évoluer demain, sans incohérence, si les données sont plus complètes, et la compréhension de la crise actuelle meilleure. Et c’est aussi sa qualité. Car cela confirme qu’il ne porte ainsi aucun attachement fondamental à sa position autre que la conviction que c’est la mieux soutenue par l’état actuel des connaissances.  

L’absence de réaction des dirigeants 

Il ne s’agit donc en aucun cas de demander, pour les scientifiques, le pouvoir de décision sur les mesures à prendre. Les connaissances scientifiques ne suffisent pas à orienter les choix politiques. Ceux-ci doivent s’effectuer après un travail de synthèse des différentes formes de savoirs.         

Il s’agit de répondre à l’absence actuelle de réaction significative des dirigeants politiques face au changement global que démontre la science. Signifie-t-elle, comme on le comprend parfois, la subordination du discours scientifique à d’autres discours, moins universels, notamment de puissants représentants d’intérêts économiques particuliers, lobbyistes, dans le jeu d’influence qui précède la décision politique ?  Dans ce cas, alors, producteurs et vulgarisateurs des connaissances scientifiques en écologie     


Florence Ienna, chargée de médiation scientifique ;  Ludovic Lesven, enseignant-chercheur en chimie de l’environnement aquatique ;  Maxime Pauwels, enseignant-chercheur en écologie et évolution ;  Nicolas Visez, enseignant-chercheur en physico-chimie de l’atmosphère.    


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